Ne pas tirer sur l’ambulance ou l’inconsistance d’une vision
« Depuis des années, on peut trouver des livres, des reportages, des documentaires contestant le modèle de l’EHPAD ». C’est ce que j’ai entendu lorsque le livre de Victor Castanet (« les fossoyeurs ») est sorti cette semaine. On m’a aussi dit : « on tape toujours sur le privé, c’est le jeu ». On m’a même dit « mais finalement qu’est ce que t’en sais ? ». Il y a quelques années, j’aurais modéré mon propos, me disant qu’il faut de tout, que les EHPAD ont leurs rôles. Quand j’ai lancé CetteFamille, mes interlocuteurs ont tout de suite mis le projet dans la case « intermédiaire entre le domicile et l’EHPAD ». Toujours cette référence ultime à l’EHPAD. Comme si dans le continuum de solutions, ces établissements représentaient une fatalité dans un parcours, une référence et même l’ultime étape.
Mais le monde a changé et il faut admettre et reconnaître que nous avons fait des erreurs par le passé pour progresser. Que d’un bon sentiment, celui d’organiser et de cadrer les anciens hospices, nous avons imposé des règles à ces établissements (d’ailleurs renommés EHPAD dans notre inclinaison naturelle à la siglologie normative). La difficulté que je relève est que la règle est devenue la norme. Un cahier des charges, initialement prévu pour prévenir les abus, devient la pierre angulaire d’un système, s’alourdissant au fil du temps de décrets et de règlementations. On gère donc l’humain au travers d’un cahier des charges et d’une règlementation. Quand je suis chez moi ou quand ma grand-mère est chez elle, nous aimons avoir notre espace de liberté et aimons ne pas dépendre d’un cahier des charges, nous lever quand nous voulons, manger ce que l’on veut, se coucher quand on veut, choisir avec qui nous voulons être, déambuler (ou être aidé!) dans la cuisine, etc.
Soutenir les soignants, dénoncer le système
La liberté et le libre-arbitre sont des thèmes qui devraient être au cœur du système d’accompagnement de nos aînés. John Stuart Mill plaidait pour le droit à l’excentricité, surtout quand « la société exerce un trop grand pouvoir sur l’individu ». Benjamin Constant souhaitait mettre « le citoyen à l’abris de la société ». Qui met nos aînés à l’abris des règles et des contraintes ? Qui les défend d’une normalisation de leur type d’hébergement ? Je ne crois pas que les hommes soient ignorants des causes qui les déterminent. Je crois à la puissance des idées.
Je suis admiratif des soignants et des équipes qui accueillent les personnes âgées dans les établissements. Je suis dubitatif sur le modèle organisationnel qui sous-tend l’EHPAD et ça n’est pas leur faire offense de le dire. Il faut la conscience nécessaire afin de séparer l’humain de l’institution : c’est dans ce mélange que l’on dissout le résident, l’humain, au profit de l’organisation, de l’établissement. En début de semaine, on annonçait fièrement le chantier d’un EHPAD géant de 300 places dans la « zone industrielle » de Perpignan, on ne peut faire plus éloquent sur la dérive. Une collectivité n’existe que par les individus qui la constitue. L’histoire de nos sociétés fourmille d’exemples où l’Homme s’est abandonné au despotisme de l’organisation, à la tyrannie de la règle et de la norme, ne traitant plus l’individu comme singulier mais la masse des individus comme un membre unique d’un corps.
Dénoncer l’hypocrisie, proposer un nouveau modèle
Si le modèle actuel a favorisé les établissements à la capacité de plus en plus importante, c’est que nous avons notre part de responsabilité. Et d’abord notre prédominance pour le choix financier. La seule raison valable qui a sous-tendu l’augmentation du nombre de places par établissement est le calcul économique : en mutualisant à grande échelle, cela coûte moins cher au résident et permet de faire vivre une structure, au même titre que l’hôpital ou l’hôtellerie, l’EHPAD étant d’ailleurs revendiqué par les opérateurs comme étant à la croisée des chemins. Une autre raison est à trouver du côté de l’hypocrisie de nos sociétés occidentales : on est contre l’EHPAD mais on ne souhaite pas garder nos personnes-âgées dans nos structure familiales, à la maison. La fragmentation des familles a accéléré le processus et les difficultés quotidiennes des famille monoparentales n’arrangent rien.[vc_text_separator title= »Un véritable tissu de solutions émerge dans les territoires » color= »orange » border_width= »2″]
Mais rien de tout cela est une fatalité. De nombreuses initiatives fleurissent, un véritable tissus de solutions émerge partout en France, dans les territoires et qui porte une autre vision de l’accompagnement de nos aînés. Un accompagnement au sein d’une famille formée et agrée par son département ? Renseignez-vous auprès de CetteFamille ou MonSenior. Des questions sur un accompagnement au domicile ? Des structures associatives comme l’UNA et l’ADMR tentent au quotidien de se réinventer, d’autres remettent fort intelligemment les auxiliaires au centre de la question comme Alenvi ou Amaelles. Des habitats partagés ? Allez voir du côté d’Âges et vie, de Biens communs ou de CetteFamille. L’évolution de l’HAD permettra aussi de prolonger ou conserver définitivement le choix des seniors dépendants de rester chez eux.
Demain est un autre monde. Pourquoi l’EHPAD devrait indubitablement faire partie de ce monde là si personne n’en veut ? « Par nécessité ou par besoin » ? Avant de répondre, demandons-nous chacun, en conscience, si nous souhaitons faire primer le choix de l’individu sur les règles de l’institution ou un modèle économique sur un modèle de société. Les physiciens savent très bien qu’une proposition établie n’est pas toujours définitive ; le soleil a tourné autour de la terre pendant des siècles. Nous avons aujourd’hui besoin de l’EHPAD, faute d’autres propositions, faute de mieux. Mais cessons de répéter les erreurs du passé. Ne nous disons pas, simplistes : « il faut trouver une solution pour industrialiser la vieillesse, sinon qu’en ferons nous? ». La vieillesse n’existe pas, elle est multiple est singulière, propre à chaque individu et c’est le regard que chacun porte sur elle qui importe. Nous ne cessons de progresser, je suis farouchement optimiste quant au sens que nous donnerons à notre société, à condition de regarder le soleil, pas le doigt de celui qui le montre…
Paul-Alexis Racine Jourdren
Fondateur et président de CetteFamille