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Rencontre avec Ange Finistrosa, président de la FNAT

protection juridique des majeurs finistrosa
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Ange Finistrosa © Vincent Pancol

La Fédération Nationale des Associations Tutélaires (FNAT) est un acteur incontournable de la protection juridique des majeurs. Présente sur tout le territoire national, son rôle est d’accompagner les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) dans l’exercice de leur profession, et de les représenter au niveau national. Ange Finistrosa, président de la FNAT, répond à nos questions concernant ce métier parfois méconnu mais essentiel à la protection des personnes fragiles.

Rencontre avec
Ange Finistrosa

CetteFamille : Quelle est la situation des majeurs protégés en France ?

Ange Finistrosa : D’un point de vue national, on comptabilise environ 1 million de personnes qui bénéficieraient d’une mesure de protection en France. Et ce, qu’elles soient prises en charge par les familles ou par les professionnels. Une enquête publiée en mai 2016 annonce que le nombre de mesures pourrait doubler d’ici 2040.

C’est un phénomène de société, qu’il faut relier au vieillissement de la population. On vit plus longtemps et de mieux en mieux, malgré les maladies neuro-évolutives et grâce à notre système de solidarité nationale qui détecte et prend en charge les personnes qui ont besoin d’aide.

Les personnes sous protection sont généralement des personnes âgées de plus de 65 ans et des personnes atteintes de maladies psychiques ou psychiatriques : schizophrénie, démence, etc. Tout ce qui est lié au handicap et empêche l’expression de la volonté des personnes. Être handicapé n’est pas, en soi, une raison de bénéficier d’une mesure de protection, c’est le fait que la volonté ne puisse pas s’exprimer qui peut le justifier.

Dans ce cadre, la loi impose un principe de primauté familiale. On recherche prioritairement les proches de la personne, qui pourraient s’occuper d’elle. C’est un principe fort, constant, qui existe depuis 1968 et qui est réaffirmé à chaque fois. Les travaux récents d’une mission interministérielle ré-accentuent encore ce principe et y adjoignent des dispositifs nouveaux et donc mal-connus, notamment le mandat de protection future. De la même manière qu’un testament, ce mandat permet à une personne lucide de décider qui s’occupera d’elle plus tard, si elle perdait sa lucidité, et des droits qu’elle lui attribuerait.

Ce mandat peine à se faire connaître ?

Oui car il est récent. Il est entré en application en 2009, et souffre d’un défaut de publicité. Il devrait être soutenu par des dispositifs complémentaires comme un fichier national, par exemple, pour les recenser.

Il appartient à la profession de s’approprier ces outils et de les faire connaitre. Prioritairement auprès des notaires, puisqu’ils sont référents dans le droit et le conseil aux familles. Malgré le principe de primauté, il faut tenir les familles au courant de leurs droits pour leur permettre de s’occuper de leurs proches.

Avec ces évolutions juridiques et l’augmentation du nombre des majeurs fragiles, ces derniers sont-ils mieux protégés qu’il y a 10 ans ?

Oui et non.

Oui car les droits fondamentaux des personnes sont mieux fléchés et repérés dans la loi, et notamment dans le Code Civil. Et non car les professionnels n’ont pas attendu que la loi vienne en parler pour déployer leur savoir-faire, leur éthique et leur professionnalisme au service des personnes.

La culture « droits-de-l’homme-iste » en France fait qu’on réaffirme les droits des citoyens régulièrement. Notamment le droit de vote. Auparavant le juge des tutelles pouvait retirer le droit de vote des personnes en tutelle. Ça n’était pas automatique mais c’était possible. Depuis 2018 le Président Emmanuel Macron a rétabli le droit de vote pour tous lors du congrès de Versailles, et donc le juge ne pourra plus le retirer aux personnes.

C’est une bonne chose du point de vue de la citoyenneté, mais il faut que la mesure soit bien encadrée pour limiter les abus potentiels, notamment de possibles trafics de procurations de gens qui n’auraient plus leur lucidité par exemple. Je ne dis pas qu’on est plus citoyen lorsqu’on à perdu sa lucidité, simplement l’exercice du droit de vote doit être encadré pour parer aux abus.

Pouvez-vous m’expliquer les actions de la FNAT auprès des aidants et des personnes fragiles ?

Nous sommes une fédération de soutien et de représentation des professionnels de la protection juridique des majeurs. Notre rôle est la représentation nationale politique, de faire avancer le secteur, d’être l’interlocuteur des pouvoirs publics sur ces questions etc. Vis-à-vis de nos adhérents, nous apportons soutien, conseils sur l’éthique, le contrôle, la transparence etc.

Nous sommes également des acteurs de proximité pour les aidants. Nos adhérents gèrent des mesures de protection dans des situations où les personnes fragiles ont une famille, ou pas. Que celle-ci puisse / veuille s’en occupe ou pas.

Lorsque les gens souffrent de maladies mentales par exemple, les aidants sont souvent en situation de grande souffrance et ont besoin d’aide, surtout lorsque les relations à l’argent viennent s’en mêler et peuvent s’avérer délicates. Ce sont des occasions où les familles peuvent préférer qu’un professionnel s’occupe des questions d’argent sans pour autant les couper de leurs proches. Quand nous gérons une mesure de protection, nous devons communiquer avec les familles tout en respectant notre devoir de discrétion quant aux informations personnelles de la personne protégée. Nous associons les aidants familiaux aux questions qui concernent leur proche mais sans déposséder celui-ci de la liberté d’administrer sa propre vie malgré ses difficultés. Nous faisons l’intermédiaire entre tous pour éviter les situations difficiles.

Quand nous ne gérons pas la mesure, nous nous en remettons à l’ISTF (information et soutien aux tuteurs familiaux) : nous déployons sur les territoires des lieux de permanence et d’information pour accueillir les gens dans nos locaux et expliquer aux familles qui se trouvent être en situation de curateurs ou tuteurs. Nous les accompagnons pour leur expliquer comment prendre soin de leur proche, l’accompagner, comment et pourquoi faire appel au tribunal etc. La FNAT porte ce rôle avec ses adhérents.

L’actualité porte des problématiques de financement des MJPM, notamment par rapport au décret pour lequel la FNAT, l’UNAF et l’UNAPEI ont publié un communiqué. Quelles seraient les pistes de financement à explorer ?

Rappelons que la protection des majeurs mobilise le ressors de l’État Solidaire, et pas de l’Etat Providence. Ce dernier consiste à accorder des aides aux gens qui en ont besoin, alors que l’Etat Solidaire, défini par l’article 415 du Code Civil, consiste à couvrir par l’Etat un besoin fixé comme relevant de la solidarité nationale.

Les finances publiques sont contraintes, et l’Etat cherche à faire des économies en réduisant ses charges. Le fameux décret que vous évoquez s’inscrit dans cette logique : on demande aux majeurs protégés de participer financièrement à leur mesure de protection. Malheureusement, dans son application, ce sont les plus pauvres qui paieront le plus cher alors que les plus riches seront sanctuarisés grâce à un plafond. Tant mieux pour eux, mais 54% des personnes protégées sont sous le seuil de pauvreté (source ANCREAI), et pour eux une augmentation de 5€ par mois est énorme !

Alors quelles seraient les pistes de financement pour éviter ça ?

Aujourd’hui les tuteurs n’ont pas le droit de diversifier leurs sources de financement : à partir du moment où l’Etat prend en charge le budget de la protection des majeurs, le tuteur ne peut plus chercher d’autres sources. Pourtant, on pourrait développer du mécénat, des accords privés, etc. Le tout en étant contrôlé, transparent et public, bien entendu. On pourrait surement mutualiser, essayer de nouveaux modèles.

Pourquoi, par exemple, ne pas créer un fond d’intervention sur la solidarité, piloté par l’Etat, qui permettrait aux gens de donner pour la protection des personnes majeures en échange d’une déduction fiscale ?

Bien entendu, ça ne solutionnerait pas tout. Mais ça permettrait de gagner en souplesse, pour la protection des plus faibles, lorsque les temps sont durs.

Le logement est, on l’imagine, une problématique centrale pour les personnes fragiles.

On observe en fait une sorte de triangle autour de trois problématiques : l’argent, le logement et la santé. Ce triangle, que j’appelle « triangle de l’ALS », se retrouve dans toutes les situations avec lesquelles nous avons affaire. A chaque fois que quelqu’un nous appelle, vous pouvez être sûr que sa problématique se trouve dans ce triangle. Ces trois problématiques sont les points cardinaux de la protection des majeurs.

Quelqu’un qui a des problèmes de logement risque d’être exclu de la Cité, de la vie en société. Il se déstabilise sur tout. Solutionner cette problématique, c’est réinsérer les personnes dans la société. Le problème peut-être au niveau du mal-logement, de l’insalubrité, défavorisés, etc. ou simplement devenir inadaptés à la suite de l’évolution de la pathologie des personnes. Beaucoup de gens ne sont pas dans les circuits de logements qui leurs seraient adaptés.

Vous accompagnez donc les personnes sur ces questions, à la FNAT et dans les MJPM.

Notre premier levier d’intervention vient du fait que nous connaissons l’éventail des solutions de logement qui existent. Donc nous pouvons aiguiller les personnes grâce à notre connaissance des dispositifs. Notre second moyen d’action est le fait de faire appel auxdits dispositifs et de les mobiliser effectivement pour permettre aux personnes d’y accéder. Toutefois, nous nous heurtons comme tout le monde aux places disponibles, aux files d’attente etc.

Je vois également apparaître une tendance, qui voudrait répondre à la problématique du logement par la mobilité géographique. Or, c’est très compliqué de demander à quelqu’un qui a vécu toute sa vie dans une région de la quitter – même si c’est pour rejoindre un type de logement plus adapté. Est-ce qu’on peut déraciner une personne pour l’installer ailleurs ? Est-ce qu’on privilégie un autre mode d’hébergement moins adapté mais sur place ?

Est-il possible de développer les modes d’accueils alternatifs pour donner le plus large choix possible aux personnes ?

Il n’y a pas de solution toute faite et l’offre est largement inférieure à la demande. Ce qu’il faudrait faire prioritairement, c’est d’amener les dispositifs aux personnes concernées pour leur donner le choix d’y recourir ou pas.

Le premier frein au maintien à domicile est administratif. On sait qu’il existe des aides, mais leur gestion pour les particuliers-employeurs est très lourde et le fait de recourir à un mandataire ou un privé reste une charge en plus. Toute une tracasserie administrative est à surmonter pour dépasser ces freins, et c’est déjà un énorme chantier que d’accompagner les personnes là-dessus.

La question principale à se poser est « la personne est-elle en danger si elle reste à domicile ? » Tant que la réponse est négative, on devrait pouvoir favoriser le maintien chez soi, ce qui passe par l’accompagnement aux aides sociales, et le fait de les connaitre. Les personnes arrivent sur ces sujets par une situation d’urgence, doivent prendre connaissance de cette jungle administrative et ont un fort besoin d’accompagnement.

Par ailleurs, les dispositifs sont hyper spécialisés selon la vieillesse, l’enfance, la pauvreté etc. On pourrait pourtant imaginer un guichet unique pour le logement. Un site existe qui s’appelle mes-aides.gouv.fr. Il est génial, il permet d’estimer ses droits pour de nombreuses aides financières en fonction de sa situation : APL, chèques énergie, compléments d’allocation etc.

Sur le logement il faudrait tout répertorier y compris les initiatives locales comme le Village Alzheimer à Dax par exemple. C’est une initiative intéressante, qui pourrait être promue localement pour les bénéficiaires du département. Bref, il faudrait donner une visibilité et un accompagnement pour la situation de chaque personne – et pas via un prisme administratif régionalisé. Faire connaître les possibilités au niveau régional pour que chaque cas particulier puisse trouver une solution adaptée.

Il faut donc diversifier l’offre disponible et faciliter l’accès à l’information ?

Oui, d’autant plus que l’offre est déjà assez diverse ! De nombreuses choses innovantes existent, mais avec quelle injustice territoriale !

L’accueil familial reste la solution la plus humaine. Et on devrait faire une étude sur les économies réalisées par les collectivités qui développent ce dispositif, par rapport aux hébergements collectifs. De très nombreux coûts sont évités grâce à l’accueil familial, quand on compare aux EHPAD ou même au maintien à domicile classique.

« L’accueil familial reste la solution la plus humaine. »

Dans le fameux triangle ALS, le lien social est primordial. Et l’accueillant professionnel respecte la sphère privée de son accueilli tout en étant réellement présent. On manque cruellement d’études sur ce sujet.

C’est dommage car l’accueil familial signifie aussi moins d’hospitalisation grâce à l’accompagnement quotidien. On technicise beaucoup la dépendance, à tort. On a tendance à considérer que l’hébergement d’une personne dépendante est si technique qu’il doit relever du soin – alors que ça n’est pas toujours le cas. Finalement, l’EHPAD n’est pas tellement meilleur que les accueillants familiaux sur ce plan là non plus, même si l’infirmière y est à demeure. En réalité l’accueil en famille permet une très bonne réactivité pour les personnes qui ne demandent pas une assistance 24h / 24 bien entendu. La dépendance ne devrait pas vouloir dire « hyper-médicalisation ». Elle peut concerner des gestes simples ; se lever, se laver, etc. Ça ne veut pas dire que la personne doit recevoir des soins médicaux constants.

L’accueil familial offre la possibilité de prendre en charge les personnes dépendantes de façon plus humaine et plus efficiente que les hébergements collectifs. Mais il faut, lui aussi, le faire connaitre à tous les niveaux car le réflexe – y compris des collectivités – reste de construire de couteux mètres-carrés d’EHPAD totalement évitables.

En plus, de nombreuses personnes ont de la place chez elles et pourraient vouloir se lancer si seulement elles savaient que ça existe.

× Propos recueillis en octobre 2018
Merci à Ange Finistrosa pour son temps et de sa disponibilité.

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